les rp abandonnés

Parfois je voudrais que ma voix s’éteigne, et je me souviens. Je me souviens que ma voix a déjà failli s’éteindre, lorsque j’étais si malade. Je ne parlais presque plus, je n’écrivais plus, je ne dessinais plus. Je voudrais pourtant me mettre en retrait par rapport aux autres, je voudrais parfois… N’avoir pas à faire valoir ma voix. Il m’arrive de souhaiter, tout simplement, de n’avoir pas vécu, de ne pas être née. Je pensais que je serais capable de mourir par amour, que je pourrais tout donner, tout sacrifier, jusqu’à ma voix, jusqu’à ma vie. Renoncer à tout ce qui m’était précieux. Mon confort, être propre, tout ce qui m’était essentiel. Et le dessin. Mon moyen d’expression.

Pourquoi aurais-je été davantage digne de vivre que ne l’était mon frère ? Pourquoi est-ce moi qui ai vécu et pas lui ? Pourquoi suis-je née dans ce corps en parfaite santé, et ce n’était pas son cas ? Pourquoi… Tous ces dons que l’on m’avait donné, la santé, la capacité de dessiner tout ce que je voulais…  Je pensais pouvoir y renoncer. Et puis j’ai rencontré mon copain. J’avais perdu mon frère, et voilà que je rencontrais quelqu’un d’autre de malade. « Rend moi malade à sa place, Seigneur Dieu. Fait que cela soit moi qui souffre, pas lui. » Je ne voulais pas le voir trembler et se convulser à cause de son épilepsie. Je n’y connaissais rien et j’avais peur qu’il avale sa langue. J’ai mis mes doigts dans sa bouche au risque qu’ils ne soient coupés, pour maintenir sa bouche ouverte et qu’il n’avale pas sa langue.

J’aurais voulu pouvoir donner ma santé, pouvoir rendre mes dons, quels qu’ils soient. J’avais fini par me convaincre que je n’en étais pas digne, pourquoi moi plutôt que quelqu’un d’autre… Plutôt que mon frère ou mon copain ?

«  Combat, Martial. Garde ta concentration. Tu dois garder ton esprit concentré. Pour garder ta raison. Quelle que soit la manière, tu dois combattre. Dessine. Colorie. Ecrit. » Mais je n’y arrivais plus. Mais c’est resté dans mon esprit, et maintenant, quand j’écris, je sais que je mène une sorte de combat. Même si aujourd’hui c’est mon traitement qui se charge de me faire garder la raison.

Asuka aussi m’avais permis de garder la raison. Toutes ces lettres que l’on s’écrivait, chacun des mots qu’elle m’offrait, au fil des mois, m’aidait. Jamais je n’oublierais cela. C’est pourquoi je peux la nommer la gardienne de mon âme. Ne l’ai-je pas été, moi aussi, gardienne de son âme, en l’empêchant de se suicider ? Mais pourquoi ai-je pu la sauver, et n’ai-je pu sauver d’autres personnes, comme mon frère ou Michel ?

Martial soupire. Cela ne fait que quelques jours qu’elle est à Sindety, et elle ne s’y habitue pas. Elle n’a pas encore rencontré son âme sœur. Un des seuls points positifs, c’est que Asuka est là aussi. Peut-être que c’est elle son âme sœur ? Non… On le lui aurait dit. Pourtant Martial se sent proche d’Asuka, et jusqu’à quel point désire-t-elle être proche d’elle ?

Ses pas ralentissent, et elle observe l’environnement autour d’elle. Des arbres… De tous les côtés. Un petit chemin sur lequel elle s’est engagée, et qui l’a conduite dans la forêt. Pas trop loin dans la forêt, mais juste à l’entrée. Non loin de là il y a la plage, que Martial vient de quitter. Elle a demandé à Asuka de venir la retrouver là, pour qu’elles se promènent toutes les deux ensembles dans le bois… Et elle désire qu’Asuka vienne. Soupirant de nouveau, la jeune femme s'appuie contre un arbre pour attendre au bord du chemin. Plus loin, le chemin devient de plus en plus étroit, pour finalement disparaître. Mais Martial est chez elle dans les forêts. Plus que nulle part ailleurs. Pourtant…  Seront-elles bien ici, toutes les deux ?

Martial. Un mot anglais associé à quelque chose de meurtrier. A quelque chose de néfaste, originaire de la radiation qui persiste encore à Hiroshima et Nagasaki. Pourtant, personnellement, je l'associe à autre chose. Il s'agit d'une femme qui n'aime pas l'être. Une femme qui m'a empêché de faire l'irréparable.

Je me souviens de ce jour comme si c'était hier, pourtant ça s'est déroulé il y a quatre mois, à la gare où je vais d'habitude afin d'aller à l'école. Mais cette fois, c'était pour autre chose : après m'être taillée les veines pour que je tente de mourir d'hémorragie qui s'est soldé par un échec, après m'être soignée de ce qui pourrait être mortel, je décide d'aller à la gare, à l'heure habituelle. Mais je ne voulais absolument pas aller à l'école, c'est quelque chose que je voulais dorénavant éviter coûte que coûte, car c'est à cause de ça que je voulais le faire.

Mes amies me parlaient dans mon dos de façon négative au début, puis on me disait ouvertement "Tu ne pouvais pas aimer un mec ?" en riant, puis on m'insultait alors que j'ai commencé à oublier mes sentiments que j'éprouvais pour Kanasagi-chan, responsable de tout ça, on a collé une image insultante sur mon casier, et on me fait de menaces de mort sur ma table. C'était horrible, je me sentais de plus en plus malheureuse. Je me suis rendu compte que ma vie est détruite, et qu'il fallait que j'y mette fin.

Je ne voulais plus subir ça, je ne pouvais plus supporter mes camarades, C'était impossible d'ignorer tout ça, alors je voulais abréger mes souffrances. Une sonnerie avait retenti. Me préparant, je commençais à reculer, et j'enlevais mes chaussures. Et quand je vois que le train s'approche, je m'apprêtais à courir pour que je saute pour me faire percuter par le train qui ne souhaite pas s'arrêter, mais d'un coup, je sens des bras se serrer sur moi, m'empêchant de faire mon geste. Je me débattais, je tentais vainement de forcer pour que ces bras se desserrent, jusqu'à ce que le train finisse par passer. Il était trop tard pour se jeter dessus. Je finis par fondre en larmes. Et je vois qui m'a empêché de faire l'irréparable : Martial. Elle ne connaît pas un traître mot du japonais, mais on se parle en anglais pour se comprendre.

Et donc, après cette tentative ratée de mettre fin à mes jours, on se parle dans le train où elle voulait aller. Peu importe où, peu importe pourquoi. Je lui ai avoué pourquoi j'ai tenté de faire une chose pareille. Elle me raconta son passé. Sa vie aussi a été détruite par l'amour, mais elle a été en partie réparée. Il en reste néanmoins des séquelles. On finit par se soutenir mutuellement, elle est devenue ma raison de pourquoi je devais arrêter de tenter de mettre fin à mes jours, et j'en suis reconnaissante. Mais ma dépression était encore là. Moins forte, oui, mais elle l'est quand même, au point où je refusais de sortir de chez moi. Pas de ma chambre, mais j'ai fini par me désinscrire de l'école où j'étais. On s'échangeait des lettres, et chaque jour, j'attendais sa réponse avec impatience. Jusqu'à ce que je sois capturée pour aller à Sindety.

Ça fait un mois et demi que je suis à Sindety, ma dépression finit par être guérie. Je suis heureuse ici, c'est certain. La stérilité est le dernier de mes soucis, de façon que je ne retourne plus jamais au Japon. Donc, je resterai à jamais ici, peu importe les conditions. Et il y a quelques jours, j'ai appris que Martial est à Sindety aussi. Ça faisait un mois et demi qu'on n'a plus eu de nouvelles l'une de l'autre. Donc ça me rend encore plus heureuse.

Elle m'a donné rendez-vous dans la forêt, pour qu'on se promène toutes les deux. Chose que j'ai accepté, sans hésitation. Donc, aujourd'hui, je suis à la forêt, pour revoir ma sauveuse. Je cherche Martial quand j'arrive. Elle ne doit pas être très loin. Je ne connais pas tout Sindety par cœur, mais c'est une grande partie. Je vois finalement Martial, posée contre un arbre, au bord du chemin. Je me dirige vers elle sans courir et je finis par lui parler en penchant la tête puis en le remettant droit.

"Salut Martial. Tu vas bien ?"